Construction d'un ensemble fractal par itération d'une fonction complexe

Wikipedia : Fractale, Théorie du Chaos, Système dynamique, Liste de fractales par dimension de Hausdorff, Ensemble de Mandelbrot

Wikibooks/Fractals/Iterations in the complex plane/Julia set

Cette page détaille la construction théorique d'une certaine classe de "fractales" (ou "ensembles fractals"), obtenues par itération d'une fonction du plan dans le plan.

Cette page constitue une introduction à l'étude des ensembles de Mandelbrot et Julia (cas particulier de l'itération de fonctions quadratiques complexes) en donnant quelques définitions et propriétés élémentaires utiles à leur compréhension.

Orbites et ensemble fractal

L'idée générale est la suivante : On commence par définir une dynamique dans un plan, une manière de faire bouger chaque point au cours du temps. Partant de tout point du plan, on construit de cette façon une trajectoire, une orbite. On ne garde alors que les points dont la trajectoire ne s'éloigne pas indéfiniment. Si la dynamique choisie n'est pas trop simple (comme une rotation ou une translation), cet ensemble peut être "fractal", c'est-à-dire, intuitivement, sa frontière est très irrégulière et il présente des détails (souvent "autosimilaires", qui se répètent) à toutes les échelles jusqu'à l'infiniment petit1.

Construction théorique des orbites par une formule de récurrence

Pour chaque point du plan, de coordonnées cartésiennes $(x,y)$, on construit une suite de points $(X_n,Y_n)_{n\in I\!\!N}$, appelée l'orbite (ou la trajectoire) de $(x,y)$ sous l'itération de la fonction $f$, par une formule récurrente de type :

$X_0 = x$
$Y_0 = y$
soit, en notation vectorielle :
$(X_0,Y_0) = (x,y)$
et, pour $n=0,1,2,3,...$
$X_{n+1} = f_x (X_n,Y_n)$
$Y_{n+1} = f_y (X_n,Y_n).$
soit, en notation vectorielle :
$(X_{n+1},Y_{n+1}) = f(X_n,Y_n).$

$f_x$ et $f_y$ sont deux fonctions quelconques à valeurs réelles, définies sur le plan $I\!\!R^2$ (on peut donc considérer le couple $f=(f_x,f_y)$ comme une fonction vectorielle du plan $I\!\!R^2$ dans le plan $I\!\!R^2$).

Plus généralement, on peut considérer une formule d'itération prenant en compte plusieurs termes de la suite (pas seulement le dernier), par exemple :

(1)
\begin{align} X_{n+1} = f_x (X_{n-1},Y_{n-1},X_n,Y_n) \mbox{ ou } X_{n+1} = f_x (X_0,Y_0,X_n,Y_n) \end{align}
(2)
\begin{align} Y_{n+1} = f_y (X_{n-1},Y_{n-1},X_n,Y_n) \mbox{ ou } Y_{n+1} = f_y (X_0,Y_0,X_n,Y_n). \end{align}
Classement des orbites selon leur comportement asymptotique

Suivant le point de départ $(x,y)$, l'orbite peut avoir différents types de comportement. On dira que :

  • une orbite est constante si $(X_n,Y_n) = (x,y)$ pour tout $n$ (l'orbite ne quitte jamais le point de départ).
  • une orbite est $p$-périodique ou $p$-cyclique si $(X_{n+p}, Y_{n+p}) = (X_n, Y_n)$ pour tout $n$ (l'orbite répète indéfiniment la même trajectoire en oscillant entre $p$ valeurs). On appelle $p$-cycle ce type d'orbite.

Etant donné la fonction $f$, s'il existe des points $(x,y)$ dont l'orbite est constante ou périodique, certains de ces points peuvent être faciles à identifier, il suffit de chercher les points fixes de $f$, c'est à dire de résoudre l'équation :

(3)
\begin{align} f(x,y) = (x,y)\mbox{, soit }f_x(x,y) = x\mbox{ et }f_y(x,y) = y. \end{align}

Ces points vont jouer un rôle important : partant de points proches de tels $(x,y)$, les orbites peuvent se rapprocher de l'orbite de $(x,y)$ (voir la section suivante sur la stabilité des points fixes). On dira que :

  • une orbite est convergente si la suite $(X_n, Y_n)$ converge vers un certain point noté $(X_{\infty}, Y_{\infty})$, appelé attracteur, autrement dit si cette suite se rapproche sans cesse de $(X_{\infty}, Y_{\infty})$. On appelle bassin d'attraction du point $(X_{\infty}, Y_{\infty})$ l'ensemble des points $(x,y)$ dont l'orbite converge vers $(X_{\infty}, Y_{\infty})$.
  • une orbite est convergente vers un $p$-cycle si la suite $(X_n, Y_n)$ admet $p$ valeurs d'adhérence. Par exemple, pour $p=2$, l'orbite est convergente vers un $2$-cycle si la suite des points d'indices pairs $(X_{2n}, Y_{2n})$ converge vers un certain point et si la suite des points d'indices impairs $(X_{2n+1}, Y_{2n+1})$ converge vers un autre point.
  • une orbite est chaotique si la suite $(X_n, Y_n)$ admet une infinité de valeurs d'adhérence.
  • une orbite est divergente si la suite $(X_n, Y_n)$ tend vers l'infini, c'est à dire si la distance entre les points $(X_n, Y_n)$ et $(0,0)$ croit au-delà de toute borne. Quand une telle orbite existe, on dit que l'infini est un attracteur.
Définition de l'ensemble fractal

On construit l'ensemble $F$ des points dont l'orbite sous l'itération de $f = (f_x,f_y)$ reste bornée, c'est à dire dont l'orbite n'est pas divergente, ne fuit pas à l'infini :

(4)
\begin{align} F = F(f) = \left\{ (x,y) \in \mathbb{R}^2 \mbox{ tels que limsup}_{n\rightarrow\infty} | |(X_n,Y_n) | | < +\infty \right\} \end{align}

Sous certaines conditions sur les fonctions $f_x$ et $f_y$ , on observe que l'ensemble $F$ a des propriétés fractales (par exemple, la dimension fractale de sa frontière est non-entière), et, sans chercher à donner de définition précise, on dira pour simplifier que $F$ est un ensemble fractal, un fractal ou une fractale.

Une condition importante est qu'il existe au moins une orbite convergente (éventuellement vers un $p$-cycle), c'est à dire que $f_x$ et $f_y$ admettent au moins un point fixe, et qu'il existe au moins une orbite divergente (c'est à dire que l'infini soit un attracteur). Dans ce cas, l'ensemble fractal ne sera pas vide, puisqu'il contient le bassin d'attraction du point fixe, et il ne sera pas égal à tout l'espace $I\!\!R^2$ puisqu'il y a des orbites divergentes. En particulier, les transformations linéaires, comme les translations, les rotations, dont donc peu intéressantes ici.

Stabilité des orbites

Notations - nombres complexes

On s'intéresse maintenant plus particulièrement à l'itération d'une fonction complexe. La suite complexe $(Z_n)_{n\in I\!\!N}=(X_n + iY_n)_{n\in I\!\!N}$, assimilée à la suite de points $(X_n,Y_n)_{n\in I\!\!N}$ de $I\!\!R^2$, est définie par :

$Z_0 = z = x+iy \in \mathbb{C}$

$Z_{n+1} = f(Z_n),$

$f$ est une fonction définie sur $\mathbb{C}$ à valeurs dans $\mathbb{C}$ (on suppose que $f$ est holomorphe, c'est-à-dire dérivable par rapport à la variable complexe $z$, et on notera $f'=\frac{\partial f}{\partial z}$ sa dérivée).

On note $f^{(n)}$ la $n$-ième itérée de $f$, c'est-à-dire :

(5)
\begin{align} f^{(0)}(z) = z, f^{(1)}(z) = f(z), f^{(2)}(z) = f(f(z)), f^{(3)}(z) = f(f(f(z))), \mbox{etc...} \end{align}

Avec cette notation, on a clairement $Z_n=f^{(n)}(z)$.

Point fixe

On appelle point fixe de $f$, un point $\alpha\in\mathbb{C}$ tel que $f(\alpha) = \alpha$.

Evidemment, l'orbite d'un point fixe $\alpha$ est constante puisque

(6)
\begin{align} f^{(n)}(\alpha) = f^{(n-1)}(f(\alpha)) = f^{(n-1)}(\alpha) = ... = f(\alpha) = \alpha. \end{align}
Classement des point fixes

Intéressons-nous aux orbites des points voisins d'un point fixe. Pour celà, considérons un nombre complexe h de "petit" module, ainsi le point α+h est un point "proche" de α (à une distance |h|). La proposition suivante montre que le comportement des orbites au voisinage d'un point fixe dépend de manière cruciale de la grandeur de la dérivée de $f$ en ce point :

Proposition
(7)
\begin{align} \mbox{ Si }|f'(\alpha)| < 1\mbox{ alors }f^{(n)}(\alpha+h) \rightarrow \alpha\mbox{ quand }n\rightarrow\infty. \end{align}

Autrement dit, si $f'(\alpha)$ est plus petit que 1 en module, partant d'un point voisin de $\alpha$, à chaque itération la suite se rapproche sans cesse de $\alpha$. Autrement dit, si $|f'(\alpha)|<1$, au voisinage de $\alpha$ les orbites sont convergentes.

A l'inverse,

(8)
\begin{align} \mbox{ Si }|f'(\alpha)| > 1\mbox{ alors }\left|f^{(n)}(\alpha+h) \right|\rightarrow \infty\mbox{ quand }n\rightarrow\infty. \end{align}

Autrement dit, si $f'(\alpha)$ est plus grand que 1 en module, alors partant d'un point voisin de $\alpha$, l'orbite s'éloigne indéfiniment de $\alpha$. Autrement dit, si $|f'(\alpha)|>1$, au voisinage de $\alpha$ les orbites sont divergentes.

On classe ainsi les points fixes suivant la grandeur de la dérivée de f en ce point :

  • α est dit critique ou superstable si f′(α) = 0
  • α est dit stable si |f′(α)| < 1
  • α est dit neutre (ou indifférent) si |f′(α)| = 1
  • α est dit instable si |f′(α)| > 1

Dans la section suivante mandelbrot-et-julia, on verra que l'étude de la stabilité des orbites apporte des informations sur l'ensemble fractal sous-jacent.

Bibliography
1. Fractals Everywhere, Michael Barnsley (1988), Academic Press, San Diego
2. Fractals and chaos, A. J. Crilly, R. A. Earnshaw, H. Jones, editors (1991), Springer-Verlag, New York
3. Complex Universality, P. Cvitanovic, J. Myrheim, Comm. Math. Phys. 121 (1989) 225-254
4. An Introduction to Chaotic Dynamical Systems, R. Devaney (1989), Addison-Wesley
5. Chaos and fractals: the mathematics behind the computer graphics, R. Devaney, L. Keen, editors (1989), American Mathematical Society, Providence, RI
6. Universal Behavior in Nonlinear Systems, M.J. Feigenbaum, Los Alamos Science 1 (1980) 4-27
7. A Generalized Mandelbrot Set and the Role of Critical Points, M. Frame, J. Robertson, Computers and Graphics 16, 1 (1992) 35-40
8. Chaos : Making a New Science, J. Gleick (1987), Viking Press, New York
Trad. fr. (C. Jeanmougin) : La théorie du chaos : vers une nouvelle science (1999)
9. Mémoire sur l'itération des fractions rationnelles, G. Julia, Journal de Mathématiques Pures et Appliquées 8 (1918) 47-245
10. Chaos and Fractals: New Frontiers of Science, H. Jürgens, H.-O. Peitgen, D. Saupe (1992), Springer, New York
11. Les objets fractals : forme, hasard et dimension, survol du langage fractal, B. Mandelbrot (1975)
12. The Fractal Geometry of Nature, B. Mandelbrot (1977, 1982, 1983), Freeman, New York
13. Beauty of Fractals: Images of Complex Dynamical Systems, H.-O. Peitgen, P. H. Richter (1986), Springer, Berlin, New York, Tokyo
14. The Science of Fractal Images, H.-O. Peitgen, D. Saupe (1989), Springer, Berlin, New York
15. A First Course in Discrete Dynamical Systems, R. Homlgren (1994), Springer-Verlag
Unless otherwise stated, the content of this page is licensed under Creative Commons Attribution-ShareAlike 3.0 License